La journée commence très tôt, du moins ses événements. Vers les 6 :00 am, endormi depuis peu dans le lit de Fred, j’entends du bruit. J’ouvre mes yeux encore rouges et vois un mec en train de se coucher. Je crois que c’est Fred. De mon cerveau embrouillé je marmonne un truc incompréhensible sur fond de demande si je gène dans ce lit, je m’en rappelle pas mais je prends sa pour une blague. Ça n’fait pas rire, enfin je crois, je me rendors.
À 8 :00, une version cuisinier de Mario entre en gueulant dans la chambre. Il s’engueule avec ce mec qu’est peut-être Fred, pas de réaction de sa part, puis le cuistot part en claquant la porte. On peut pas dormir en paix bordel ?! J’arrive bien à me rendormir, même si j’ai assisté à la pire journée de ce mec.
10 :30am, réveil paisible. Le lit à côté de moi est vide. Edg a mal dormi sur le canap et parait de pas très bonne humeur. Moi j’suis bien. On sort de la maison, se retrouver dans un matin chauffant en rayons filtrés par d’immenses arbres. Des tas de cabanes de partout, bardés de bois, végétation de sous foret. Il fait doux. C’est un réveil des plus magnifiques. Zia et Fred arrivent, ils nous emmènent déjeuner à la cafet des employées. On croise quelques meufs qu’on a rencontrées hier, le nouveau couple d’hippie nous présente plusieurs personnes. Ça doit peut-être être exotique d’héberger deux français cool, pas de la trempe des gros riches qui refoulent dans la Lodge. On chope un gobelet américain de café et des petits gâteaux à l’œil, et remonte dans la chambre. Un quart d’heure, le temps de manger et d’émerger, puis Fred et Zia arrivent pour une ballade en voiture. Recharge d’américain Spirit à 12 $ dans la casinette des employées. En finissant les cafés, Fred nous emmène dans sa vieille Volvo break beige qui semble se reposer au milieu de toutes les caisses guindées mais pas tape à l’œil de cet hôtel. Les vieux sièges recouverts de draps à motifs, parsemés de paquet de cochonneries, du matos d’escalade qui traine dans tous les coins, la voiture grenier. On se croirait dans le sud de la France. Sa caisse s’appelle spirit of ecstasy, on saisit pas la référence puis il met l’histoire de Melody Nelson du Serge National. Il était pourtant tout content de sortir ça à des gens qu’auraient pu connaitre. On roule des clopes pour tout le monde, parti sur les petites routes qui nous ont terrifiés hier. On est vraiment à côté du Park enfaite. Les rangers connaissent Fred, ils nous souhaitent une bonne journée et nous laissent rentrer. Le système de Park national semble pas mal, tu payes 60$ et t’as accès à toutes les réserves des états unis, ça fait un bon financement pour l’entretien et ça insiste peut être plus les gens qui, une fois déboursé pour un, veulent aller voir les autres. C’est juste surement un peu chiant pour les pauvres. Et y sont marrants, ces rangers qui servent de flics, de garde forestier ou même de guide. Ils délivrent les permis de camper en surveillant les migrations des ours, et respecter l’ordre de la nature. La forêt est immense et magnifique, ça sent le Thoreau. J’ai pas lu Walden parce qu’il était en anglais, enfin j’ai déchiffré le vocabulaire forestier jusqu’au premier chapitre et c’est chiant de lire avec un dictionnaire. Mais ça ressemble à l’endroit que je m’imaginais. On s’arrête sur le bord de la route, y’a deux tables de picnic qui jonchent sous une lumière tamisée pas les branches grandioses. On monte sur un petit chemin dans les fourrées. Arrivé face au vide y’a des rochers à escalader, ils sont pas très difficiles faudrait mieux pas tomber dans le gouffre. Sur la butte rocheuse, Zia est assis sur le rebord de la falaise et regarde au loin. Panorama à 270 immenses degrés, vue aussi profonde que gigantesque. La Poopenant Valley est tellement plus grande qu’en Europe. Au fond, là où on va, on voit un grand lac soutenu par un barrage où se jettent et sortent plusieurs grandes cascades. Hetch Hetchy, la réserve d’eau de San Francisco. On s’assoit, contemple le paysage sublime dans le pâté du matin.
Zia me fait voir la sortie en dessous de nous d’une voie d’escalade qu’elle a déjà faite. Les falaises à pic donnent dans la forêt, on doit être à 150 mètres de la première cime d’arbre. Ça me donne tellement envie de bien me mettre à grimper, puis là ça serait avec l’accompagnement local. On dirait que Zia ne vibre que ça, grimper dans la nature. Ça se sent qu’elle a du vécu, on sent une tristesse mélancolique derrière son sourire omniprésent qui sonne un peu faux, elle développe un mutisme troublant. Fred a enfilé ses lunettes de pilotes des années 40 qu’il a trouvées pour la prochaine session du Burning Man. Tout le monde à la Lodge semble y participer, ce rassemblement du bizarre et de l’art techno, et de la drogue. Au milieu d’un désert perdu du Nevada, les pires folies où tout le monde vit avec pour unique règle le psychédélisme moderne. Je serai plus sur le continent en début septembre, c’est bien dommage. On reprend la caisse pour s’approcher du barrage, ou il y a pas mal de monde. On se gare derrière un type qui pourra plus sortir, assez loin, on ne va pas rester longtemps. Fred doit bosser à 12 :00. Il est cuistot dans la cafét des employées, et Zia donne des conseils aux touristes à 1pm. On s’avance sur la route, le trop-plein d’eau refoule un débit impressionnant, le jet d’eau qu’on voyait de notre rocher, j’ai jamais vu ça, et tous les trop-pleins débordent. Le parc a connu des précipitations records cette année, l’eau dévale le barrage de toutes parts et reprend sa route dans la vallée, la base du barrage doit être un des endroits les plus dangereux du monde. On observe pendant un moment les nombreux arcs-en-ciel brillants dans la combe. En se retournant, le lac immense inséré étroitement entre les flancs des montagnes reçoit l’eau d’une petite dizaine de cascades. San Francisco, c’est tellement classe d’avoir une réserve d’eau de cette beauté. La fin est masquée par un grand piton rocheux, la falaise verticale qui donne directement dans l’eau est une des voies les plus difficiles du Park. Le patron de la Lodge l’a fait quand il était plus jeune, mais c’est à priori pas facile de lui soutirer des informations sur son passé. Il est pas la en ce moment, parti dans un hôpital à cause d’un genou démonté en jouant au Baseball avec ses employées. Je leur lance pour rire qu’ils doivent être contents d’être libres, ils me regardent comme un gosse en me disant que leur boss, c’est leur pote, et c’est un mec super. Je les crois, rameuter tant de jeunes dans un endroit si paradisiaque tout en sous-tirant du pognon aux riches, c’est génial. Y’a beaucoup de monde, plusieurs petites filles françaises qui veulent pas aller marcher. Il doit y avoir trop de randos qui partent d’ici. On passe dans un tunnel noir et humide qui suit directement la fin du barrage et arrive sur le chemin qui fait le tour du lac. Assis sur une branche, on est obligé de faire demi-tour. À la prochaine Hetch Hetchy, j’ai trop envie de faire une grande rando par ici.
La musique de Fred est vraiment géniale, une femme chante avec une voix à crever sur un picking de mandoline lent. Je demande le nom mais l’oublie d’aussitôt. On va être un peu en retard et ça fait flipper Fred. Christian le brave a oublié de se réveillé ce matin, c’était donc lui que j’ai vu, mais il c’est aussi fait viré illico. Ça devait pas être la première fois.. On arrive à midi et le quart et Fred se précipite à la cafét, sa devrais le faire. Zia nous conseille d’aller faire un tour à la Yosemite Valley, c’est le plus impressionnant du parc. On va se préparer chez Fred, la maison est toujours ouverte, et gagne la voiture. Zia nous intercepte sur le parking, elle est avec une amie qui est en day off aussi et voudrais, si ça nous dérange pas, bouger avec nous. Elle est petite et maigre, brune avec un petit duvet, pas très jolie mais l’air hyper sympa, ça ne nous dérange naturellement pas de l’emmener. Blakely elle s’appelle, elle doit aller se changer et nous rejoins dans un quart d’heure. Elle sort d’une blessure à la cheville donc nous promet pas une grande ballade. Edg avait pas trop envie de toute façon. On va attendre chez Zia la demi-heure qu’il faut aux filles pour se préparer, même ici. On fume une clope sur la terrasse de sa maison. Elle vit avec deux autres meufs qu’on a rencontrées hier, elles ont toutes les deux leur day off et leur chambre pue la beuh. C’est l’ambiance de la pièce, y’a des draps devant toutes les fenêtres pour permettre que les touristes ne voient pas le bordel, les bangs, repas à moitié finis et statues indiennes. Sur la terrasse, de gros fauteuils en bois confortables. Blakely arrive, j’insiste pour qu’elle passe devant mais elle refuse, et on se met en route.
Blakely est étonné qu’on puisse fumer dans la voiture mais trouve ça cool, elle refuse poliment les bagels au bout de dinde et crème de fromage qu’on lui tend. On s’arrête faire le plein à l’ilot de service civilisationnel de Crane Flat, faire un plein qui fait vraiment mal au derche, mais au moins ils ne souffrent pas trop de la concurrence. Cette route, on l’a déjà prise deux fois, mais de jour ça n’a rien à voir. La vraie vue immense sur cette infinie vallée entièrement boisée, des bouts en sont cramés, des falaises sortent parfois de la pente trop raide. Y’a du trafic. Blakely exulte quand sonnent les premières notes d’Old Man de Neil Young, une de ses chansons préférées. Elle est vraiment cool cette fille, pendant l’heure de route on ne fait que parler. Quand on entre dans la vallée, on arrête. En face de nous, El Capitan, la falaise à pic la plus haute du monde. 900 mètres de dénivelé d’un coup, la plupart en dévers. Ensuite, les Yosemite Falls, 720 mètres de cascades sur trois échelons, le plus grand faisant quand même 450m. Toute cette eau qui tombe d’on ne sait où, malade. Dans la vallée même, des immenses falaises qui bordent des deux côtés ce petit paradis hors de dimensions. C’est surement le plus beau paysage montagneux qu’il m’ait été donné de voir. Blakely conseil de laisser la bouffe dans la voiture pour pas s’encombrer, mais on sait jamais, c’est déjà arrivé que les ours défoncent les voitures en pleine journée sur un parking plein de voitures. Y’a quatre énormes campings dans cette vallée, un sans réservation, ça à l’air plutôt dense. On va essayer d’aller voir une de ses copines qui bosse pour le Park, traverse les tentes solides qui servent aux jeunes et moins jeunes qui bossent ici. Ils ont tous des énormes cases de métal pour sauvegarder leur nourriture, sur un truc que les ours peuvent pas ouvrir. Blakely en a déjà vu se balader dans la Lodge, ils ne sont pas dangereux, pas de grizzly. On cherche longtemps mais Blakely se rappelle plus d’où sa copine habite, elle est venue deux fois de nuit et bourrée. La poursuite d’un ruisseau creusé dans la terre traversant le campement ne donne rien, on va voir si elle bosse à la supérette. On lui dit vaguement bonjours, regarde tous les produits de base hyper chers, y’a un nombre de produits dérivés impressionnant. C’est dommage de travailler dans le plus beau parc de Californie et d’avoir pour unique vue des conneries pour touristes. J’espère qu’ils tournent. Elle insiste pour qu’on reste ici ce soir, mais on ne peut pas lâcher l’Evergreen Lodge. Quand on raconte notre histoire, des couchsurfeurs d’un collègue de boulots, les gens tiquent. Ils sont contents pour nous et s’en foutent au final, mais c’est pas habituel de se faire héberger comme ça. On est peut-être les mecs les plus chanceux de Californie française. Mes chaussures de marche que je me suis fait chier à trimballer restent dans le coffre, et on va se poser sur les berges de la rivière Merced.
Les jeunes de l’hôtel appellent ça Disney Wood, y’a tous les gens qui sont pas là pour marcher qui zonent, se baigne pas parce que l’eau est froide, dorent au soleil. C’est quand même un chouette paysage pour des beaufs. On essaye de se mettre en retrait, posé sur le sable. On fait le projet d’aller se baigner. Je me mets en caleçon, Blakely demande si elle peut faire pareil. Elle s’excuse même d’être un peu hippie. Aucun problème, on est français mais on sait ce que c’est les hippies. Les jeunes américains n’ont pas du tout en compte qu’en Europe, on connait presque tout de leurs cultures, des merdes qui fabriquent la jeunesse conne de leur empire déclinant, et heureusement aussi leurs alternatives. On est exactement comme vous, putain, en France on a arrêté le théâtre et la littérature pour écouter du rock et tchater sur Facebook. Edg entame la siesta, je me jette à l’eau. C’est super froids, mais je me dis que c’est de l’eau pure. Je reste pas longtemps et profite bien du soleil pour me réchauffer. Blakely hésite, elle trempe ses jambes, finalement elle y va, les canoës passent. On leurs fait coucou, ils savent pas pourquoi. Je me re baigne un peu malgré l’eau glacé, surement glaciaire. J’ai le gout de faire du bloc, y dois y en avoir aux alentours. Blakely pourra pas grimper, je lui réponds que moi non plus, ça fait trop longtemps, personne n’a de chausson, on a fumé beaucoup de cigarettes, ça va pas être brillant. Juste pour s’amuser. En réalité pas si longtemps, avant de partir on a chopé le matos de mon père et la corsa et on est allé dans le Pilât avec Arthur. C’était pas glorieux du tout, mais on a bien rit, on lui avait raser la tête la veille. C’est tellement loin, déjà. Juste de l’autre côté de la route, des gros blocs, pas vraiment balisé, je laisse mon sac et mes Bobbie Burns grises au pied du rocher, j’essaye. Trop dur. J’en fais un autre, pas drôle, trop facile. Un gros bloc, j’essaye de monter dessus par la méthode traction mais finalement j’utilise le petit chemin dans la roche qu’a pris Blakely. On s’assoit sur cette pierre et commence à causer. Blakely a arrêté les études après le lycée, pour se trouver, comme apparemment la pluspart des jeunes de la Lodge. Elle a pris son sac à dos, quitté son Utah natal, et a fait son chemin en Californie. Elle a bossé pendant un an dans les cultures de weed dans le nord, elle veut plus jamais y retourner sans dire pourquoi. Puis elle a bossé à la Lodge. Elle a plusieurs potes à elle qui sont partis sur la route après l’université, ils bossent dans des trucs minables de hippie mais on des milliers de dollars à rembourser. Maintenant Blakely se connait, veut reprendre ses études, masseuse kiné c’est son truc, pense-t-elle. Elle veut faire sa croute maintenant. Elle a trouvé une formation de deux ans, a les économies et attend sa fin de saison à la Lodge en novembre pour la commencer en janvier. J’me rends compte des fois que j’ai vraiment un parcours de con, j’aime pas ce que je fais, c’est long, j’ai aucune envie d’avoir un boulot de con comme j’ai fait pendant les derniers 5 mois, j’ai tellement envie de m’arrêter. Mais d’autre part, c’est gratuit, j’en ai déjà fait 3 et je ne saurais pas vraiment par quoi remplacer. Il fallait se réveiller avant. Blakely ne fume pas trop de ganja, en partie à cause d’une fois où elle fumait dans sa voiture, avec deux copines. Elles se sont fait gauler par les flics qui ont tchequé les âges de ses deux copines, pas encore 18 ans. Elle les avait passés mais les keufs ont fait une fausse hypothèse sur son âge, surement dû à son physique de jeune fille. Elle aurait dû aller en prison. Pour simple consommation. L’Utah, cet état à bloc conservateur, y ont pas l’air de rigoler. Edg nous rejoint sur la pierre, il fait répéter à Blakely la moitié des choses qu’elle m’a déjà dite, je m’évade.
Retour à la voiture, Blakely est affamée, on lui fille une pomme qu’on à acheter à Manteca. Elles ressemblent aux pommes des comptes de fée, rouge sombre éclatant et forme trop parfaite, quatre bosses du cul font un trépied parfait. Premier croc, y’a une couche de cire tout autour de la pomme. Déjà qu’elle doit être infesté d’OGM, si en plus elle est recouverte de pesticide. La chair n’a pas un gout dégueu, ça fait juste pas très naturel. Un croc suffit à Blakely, après en avoir parcouru la moitié on se met d’accord de les jeter dans le buisson. On rentre en direction de la Lodge, Blakely nous propose d’aller voir le pied d’El Capitan, de là où partent les voies. On attend pendant une demi-heure, arrêté dans un bouchon de la forêt, profitant des pots d’échappement des autres voitures et d’Architecture in Helsinki. Quand on démarre enfin, un petit ranger au milieu d’un carrefour fait la circulation. On se gare un quart d’heure plus tard dans la forêt. Là, il faut laisser la bouffe dans la case impérativement. Blakely nous conseille aussi de nous enduire de lotion anti moustique, c’est humide et ces imperfections de la chaine alimentaire sont assez méchant de ce côté de l’atlantique. La citronnelle ça va pas attirer les ours ? Arrivé aux environs de la falaise, deux trois éboulis puis la roche démarre à pic sur 900 mètres tout lisse et déversé, la sortie est clairement derrière nous. Y’a bien quelques malades qui la grimpent en 4 heures, mais normalement il faut plutôt 2 à 3 jours pour la vaincre. J’vois pas de hamac, y’a un groupe juste au-dessus. Ils doivent vouloir attaquer le plus tôt possible, en plein après-midi ça doit être l’enfer de grimper sur la roche brulante. J’enlève mes tongs de la vie, et monte sur les rochers sur une dizaine de pieds. J’arrive là où la dalle devient impossible à envisager, mais j’ai fait trois mètres des 900, 1/300. C’est déjà ça, le reste du groupe ne m’a pas suivi. Je reste seul à regarder les troncs et cimes des arbres qui s’étendent. Rafraichi, j’entends Edg qui ricane au loin, je les rejoins. Quand je lui raconte mon exploit, il me taille, c’est aussi annonciateur qu’un pseudo Facebook, connard de hipster, je m’assois et le regarde faire du land art avec des écorces. Moi, mes trucs sont moches. Blakely se fout de notre gueule de stoner, elle est vraiment cool c’te meuf, pas si vilaine même si elle a vraiment une moustache salace. J’pense qu’elle nous aime bien. Elle nous propose de bouffer au resto ce soir et de boire des canons avec ses autres potes. C’est trop joyeux pour rien ces bébêtes d’australiens, on met Meedle de Pink Floyd. Le soleil se couche de la vallée, on pense chacun dans son coin. C’est trop une psyché de solitaire défoncé, ces musiques, on met les Fleet Foxes, c’est plus à la couleur locale. Blakely les adore, même si elle les confond avec les Grizzly Bears. Elle nous a demandé plusieurs fois si elle avait été une bonne guide, la montagne ça ne doit pas être son grand élément, et avoue être souvent guidée par Zia. On monte en chantant la même route qui remonte la vallée sous un soleil jaunissant qui se couche sur l’ouest, in the quivering fooorest, Where the shivering dooog rests, Our good grandfaaather, Built a wooden neeest. And the river got frooozen, And the home got snooowed in. And a yellow moon glooowed bright, Till the morning liight. Terrible am I, child. Even if you don’t mind. Presque à la Lodge, deux voitures sont arrêtées devant nous, dans un virage. Elles observent une famille de biche qui broute tranquillement à l’entrée du sous-bois. Je veux savoir en combien de temps une espèce de bête qui n’a plus le droit d’être butée par les hommes va évoluer pour cesser d’en avoir peur. Eux n’en sont pas traumatisés. Ça re sent la sauce barbecue brulée, on demande a Blakely si c’était vraiment farfelu comme raisonnement et elle peut pas s’arrêter de rigoler. Les deux français lopettes qui ont peur d’une souche. On la lâche au parking, elle nous rejoindra chez Fred, prête pour la soirée. On retrouve sa piaule, c’est quand même bien compliqué toutes ces cabanes en bois. Mais, surtout au coucher du soleil, c’est d’une beauté.. Jamais on n’aurait pu venir dans un lieu comme ça, si à l’aise, sans l’aide de notre bonne étoile.
Chez les hippies, y’a personne, Fred nous a priés de faire comme chez nous, Edg commence à prendre sa douche. Je zone sur internet, wifi marche par intermittence, quelques aller/retour et je vais prendre ma douche. La salle de bain et vraiment dégueulasse, des pinceaux à l’air, des poils de partout, tout est humide et sale, c’est à la limite de préférer la rivière. J’en profite pour astiquer à fond tous notre stock de pommes au poison et la différence est visible à l’œil. Le baba con passe, il a l’air énervé. Il est chez lui, il a le droit.Fred et Christian, ce dernier ayant l’air un peu détruit d’avoir perdu son job, arrivent dans la pièce, suivie de Blakely tout habillé et propre. Ambiance ou personne n’a trop envie de parler. On propose de rouler un spliff, Blakely nous défend de le fumer dehors, c’est pas sérieux pour l’image de l’hôtel. Fred à pas trop envie, mais sa pourra que masquer cette sale horreur de solvant. Babos est assis au bout de la pièce en silence. Christian lui demande comment ça va, mais il rentre dans sa chambre en silence. Puis il ressort. « How I feel ? My best friend fucked my wife, that’s how I fuckin feel. » Claquage de porte. On comprend pas tout, mais on commence à sentir la défonce monter alors c’est moins grave. Pourtant ça a pas détendu toute l’ambiance de la pièce.
Les employées ont des réductions s’ils mangent au bar, ils payent juste pour le prix des aliments. Blakely commande une salade et un poisson pour nous trois et insiste pour tout payer. Elle se touche des tips de fou en servant les gros riches du restaurant. On insiste un peu, mais finalement ça lui fait plaisir, ça nous fait manger peu et j’ai bien décidé de réduire mon bol alimentaire après la remarque d’hier de Edgard sur mon ventre. On payera une tournée de bière. Salade complète, puis la sole commandée est délicieuse, la sauce est super et servi avec pleins d’accompagnement, du riz cantonais aux fruits de mer. Je feuillette un bouquin qui traine sur le bar, le Burning Man en photos. J’essaye d’introduire la conversation sur ça avec mon jeune voisin de comptoir, mais il connaît pas et il n’en a rien à foutre. Mal regardé, ça doit être un client. On repaye une tournée de bière et se fond dans le tas de jeunes travailleurs. Blakely nous présente sa colocataire, elle vient de Barcelone et est venue par ici en vacances. Elle a rencontré le tenant et il a pu lui fournir un visa de travail pour faire une saison ici. Putain, et si je faisais pareil ?! J’ai l’adresse, je pourrai toujours essayer de postuler, je sais pas quoi faire après de toute façon. Sa dois être marrant de construire des maisons de bois, ou même de faire la cuisine. La pièce est décorée de vieux ski et de photos du lieu, des années avant, sous la neige rude de l’hiver. Ça doit pas être facile à vivre, une moitié de la Lodge est fermée et elle tourne avec un quart de l’effectif d’été. Deux meufs nous sautent dessus pour nous payer une tournée de shooter. Bwarf, c’est pas des canons, mais c’est des bons shooters. De suite, elles nous en proposent un deuxième. Allé, puis quand elles parlent du troisième on sonne l’heure d’aller fumer dehors. Y’a toujours des fumeurs sur le banc en bois face à un mur de large maisonnette, pas de cendrier mais un pied de parasol en acier noir rouillé. On voit le parking et la forêt illuminée par la lumière de la lune qui bat son plein. On demande à Blakely si elle connaît un vendeur d’herbe car on a bientôt plus rien. Un vieux mec déboule et nous propose 40$. On veut pas trop en avoir hors de la Californie, pas du tout envie d’avoir une merde comme Blakely. On se sent toujours sur la sellette dans ce pays. On veut que la moitié, mais le mec fait pas dans le collégien, du moins ce qui nous laisse entendre. Tant pis pour son biz des montagnes, on devra s’en passer. Blakely nous parle de son Utah si beau, elle d’ailleurs une de ses meilleurs amis qui travaille là-bas, dans le Zion National Park et ses falaises rouges et sauvages, et elle serait ravie de nous accueillir. On peut bien rajouter l’Utah, le plan c’est de pas trop en avoir et de se laisser couler. Les filles un peu vulgos nous ont suivies pour fumer leurs clopes. Paula, la plus marquante a une tête carrée, un peu méchante et rustre, mais l’air de calculer pas mal. Et par ses relents de dragues rentre dedans elle en serait presque attirante. Elles nous proposent d’aller grimper avec elles demain, elles ont leurs day off. Zia nous encourage à y aller, elle le ferait si elle bossait pas. On avait prévu de partir demain mais après tout le concert de Linnéa à Las Vegas n’est que samedi. Fred nous a proposé de rester une nuit de plus, on sait pas trop si on doit abuser mais il avait l’air de s’en foutre de si on restait ou pas. Ça pose pas de problème, si ça nous fait plaisir ça le lui fait aussi. Il a une approche de la vie et du présent incroyablement décontracté. On verra demain sans dire non aux filles, ça peut être le plan ultra cool. On rentre dans le bar qui commence à être bien bruyant des jeunes bourrées, moi je sens l’alcool d’altitude monter bien vite, c’est l’heure de faire la bringue.
Les prochaines bières juste commandées, Zia nous propose d’aller marcher jusqu'à un petit lac pas loin pour voir les étoiles avec Fred. Edgard à l’air pour, je suis, mais je serai bien resté avoir du fun. Je vais pas rester tout seul, je me tais et suis le groupe. On peut finir les bières en route si on ramène bien les verres. On passe devant la maison pour prendre la beuh qui nous reste et on descend la Lodge par l’autre bout de l’Evergreen, il y a des petites maisons plantées de partout. On marche un moment en silence sur la route éclairée par une lune resplendissante, les étoiles sont en led. Jamais la Voie lactée n’avait été aussi visible à mon œil, même avec la lune. C’est magnifique, encore plus qu’à la Lodge, mais personne ne parle, ça me saoule d’être partis. Ça aurait été cool de continuer à faire la fête si on se connaît pas assez pour échanger des trucs intéressants. L’anglais profond c’est chiant à parler, l’anglais bourré c’est plus marrant ! Laissez-moi en paix, si le silence est d’or, je me tairai le plus. On distingue une étendue marécageuse devant nous, mais le plus gros signe de la présence du lac provient de ses grenouilles qui hurlent a mort. On croirait qu’un troupeau de vaches regardent un match de foot. On s’allonge tous sur un rocher. Zia est allongé sur Fred et on l’entend marmonner malgré le raffut des grenouilles. On peut repérer lesquelles piquent des crises de démences et envoient toutes leurs voix griller en quelques phases de déchirement de 5 secondes. Je regarde le ciel, pense sans raison, perdu dans les grenouilles. Peut-être que parfois c’est même bien de ne pas parler du tout ? Une demi-heure plus tard, Fred et Zia donnent le signal, on prend la direction de la Lodge. Toujours pas un mot sur le retour, assez apaisé pour que ce long blanc passe sans gêner. Y’a du monde devant la maison de Fred. On dit bonjour au directeur n°2 de la Lodge qui prête pas trop attention à nous. J’espère que le bruit de notre présence en condition de Couchsurfeur est pas arrivé à ses oreilles. Il a pas l’air d’être là pour ça, il parle gravement avec des mecs qui étaient avec nous au bar. On rentre dans le salon, Blakely et d’autres gars sont là et boivent des bières en silence. On essaye de lancer des petites blagues qui ne trouvent pas leur public.
Ça s’excite dehors. Des mecs gueulent. Ça pète un câble un premier coup, des gens essayent de calmer la situation, plus de bruits. La pièce est silencieuse. Puis un cri rageur, Christian traverse la porte et s’écrase contre le canap, le babos pas drôle lui saute dessus, lui met des droites avant d’être attrapé et sorti par les mecs qui attendaient dehors. Ça a déjà chié devant le bar. Christian aurait pu le défoncer, le rapport de muscle est vraiment pas égal, mais il doit avoir un truc à se reprocher. Hier, Christian a niké la femme du babos pas drôle. Le couple marié est normalement libertin et libre, mais ça a pas plus au babos que sa femme ait passé du temps avec son meilleur pote.. Et sous l’alcool, la rage jalouse de la possessivité humaine a dû se réveiller violemment. C’est donc là où il a trainé avant de rentrer dans la chambre de Fred ce matin, avant d’oublier de se réveiller et se faire virer. Pauvre gars, tout perdu pour un vagin. On entend babos hurler dehors, toujours hors de lui. Personne ne parle dans la pièce, Christian à des bleus aux yeux et aux joues, un peu de sang sur la lèvre, quelqu’un lui laisse la place sur le canap et il s’allume une clope. Blakely sanglote, Zia a peur et Fred regarde le sol. On sait pas trop quoi faire. Christian nous regarde avec un petit sourire en coin et s’excuse pour la mauvaise ambiance. On fume tous une cigarette en silence, dans cette pièce sombre qui sent le solvant. Zia nous rend grâce en nous proposant de loger chez elle. On récupère nos sacs à dos et duvet, et on sort silencieusement de la pièce. Christian regarde le vide. On souhaite la bonne nuit au gérant qui est toujours dehors et regarde nos duvets d’un sal œil. Zia insiste pour qu’on prenne un lit double chacun de sa mezzanine, elle craint qu’on soit pas très à l’aise pour la suite du voyage et de toute façon elle ne va pas se coucher tout de suite. On insiste lourdement qu’on peut se mettre à deux sur un lit, trop lourdement peut être, des fois ça fait plaisir aux gens de donner. Les chrétiens disent que sa procure même plus de plaisir que de recevoir. Enfin nous on sera bien dans ses grands lits. Elle vire tous son matériel d’escalade, de paquets de mouchoirs et de clopes vides, puis on se couche. « Sale affaire, pauvre mec. – Ouai en tous cas on se barre demain – Ouai mort de rester – (…) – PPPRRRRRRRRRTTTTTTTT – Max arrête direct »
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