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Jour 13


On se lève assez tôt sans hésiter à partir en gueulant, puis on se rend compte que ça n’en vaut pas la peine. Dehors j’explose de rire. Edg tire les mêmes conclusions que moi, ils sont bien trop cons ces portos. Cette fois, on a les pancakes. Cette cuisine doit être à cinq degrés de plus que dehors, bien qu’aujourd’hui il ne fait pas beau. Ça nous empêchera pas de squatter la piscine. On va se rendormir deux petites heures. Edg croise Lucie dans les couloirs et lui demande s’il peut lui emprunter son pc pour mettre nos photos sur internet. Elle accepte bien qu’elle sorte d’une dure soirée. On s’assoit dans le petit salon où il y a plein de disques et de jeux, un billard défoncé, une ambiance sympa, bien qu’il semble que personne ne vient jamais ici tant ça sent le renfermer. Pendant que je fais une salade en plastique avec la moutarde sucrée et des tomates en polystyrène, Edg regarde, trie, choisit celle qu’il va mettre sur Facebook, et les uploade. Ça prend deux heures plus une troisième pour toutes les envoyer et Lucie craque un peu. Hier elle a fait la sortie avec la boite et a trop picolé dans la limo. Elle se sentait mal parce qu’elle n’est pas trop en phase avec l’alcool et quand ils se sont pris une porte à la stratosphère à cause de la fausse ID d’une fille elle a préféré rentrer à l’hôtel. Finalement Gras a emmené tout le monde au Louxor, comme il a ses entrées là-bas. Y’avais John le bavarois mais il est parti tôt ce matin. Quand on rend l’ordi à Lucie, qui nous demande gentiment si elle peut garder nos photos, Edg accepte un peu forcé, comme un payement pour ces heures. On va sur les transats et on ouvre des bières. Dans le petit jacuzzi on rencontre un groupe de parisiens avec une sœur et un frère mineur qui font le tour classique et qui ont réservé un hôtel du Strip demain. On aperçoit l’australien qui partage nos chambres, il est en train de parler à cheval qui lui demande si avec ses 21 ans dépassés, il peut louer une voiture pour aller au Grand Canyon. J’annonce okay pour L.A. On va donc devoir tuer cette journée et celle de demain dans cette ville de cendres, qui sait, on gagnera peut-être des sous.

Le premier demi-litre de bière me met dans un état ronchon quand on en arrive à la Suisse et à leur implication dans la deuxième guerre mondiale, de cette couverture de fausse neutralité et d’écrans de pognon, je deviens presque virulent. Arrivé au litre je me calme. Personne ne veut se fâcher avec les banquiers. Sur la petite montée de l’ivresse, je me demande pourquoi ça monte aussi vite et suis motivé pour voir des trucs bêtes. On essaye d’embrigader Lucie pour qu’elle bouge avec nous à Fremont Streets Experience mais elle est trop mal. Les dix minutes de marche sans le soleil sont presque supportables. On fait notre premier stop au Wallgreen pour acheter des bières et on craque sur la Steel Reserve à 8% et à 1$19. Dans Fremont St li fait presque nuit, l’écran éteins et les néons des casinos luttent et clignotent et donnent un coté sinistre à ce bout de désert. Plus loin on tombe sur une scène de kermesse avec des putes habillées qui dansent sur le son d’un DJ à T-shirt moulant et deux clochards dansent devant, regardés par un demi-cercle de vacancier. On rentre au Golden Nuggets, l’un des plus anciens casinos qui expose une pépite d’or géante. Pas grand monde dans la rue mais un casino ne désemplit jamais. On sort nos bières de punk et se cale une clope sur une chaise de machine à sous. Y’a de la moquette dans tous, peut-être pour rendre l’endroit plus doux, pour les perdants, ou pour ne pas voir les cendres des clopes. C’est un complexe de piège et on vérifie, y’a pas l’heure et la lumière du jour ne passe pas les portes opaques. Les limites temporelles étant renversées par les sensations de puissance et d’attrait du gain, les gens peuvent jouer des heures d’affilées pour statistiquement tout perdre. Pouvoir devenir brusquement riche et être le roi de la ville, tout claquer chez les putes. En réel, se procurer un sentiment de frustration qui ne serait résolue par une porte de sortie évidente, y retourner et gagner au casino. Des zombies mièvres. Et ici ils ont l’air bien plus populo que sur le Strip. Les hôtesses sont plus mignonnes et font moins pros. On observe une femme seule de 50 ans qui nous relance plusieurs fois pour jouer avec elle au poker à trois cartes, elle nous jure que c’est le plus facile en ratio de gain mais se fait engloutir ses 100 billes en moins de dix minutes, sans broncher. Elle se lève et nous souhaite une bonne soirée. On va finalement jouer deux dollars à la roue et repart avec trois dollars en plus, toujours tout sur le 2, même si un bâtard gagne sur le quarante à côté de nous. On entend « Time of the season of Love » de Zombies et ça nous fait sortir dehors. Des formes psychédéliques sur le plafond de la rue. D’un coup tout s’éteint, des néons des casinos aux scènes et il fait vraiment nuit. Une seule ligne de basse blues sonne, bien connu, les gens se regardent en souriant bêtement et les têtes de Ray Manzarek et ses acolytes remontent la rue de l’écran, puis quand Jim Morrison crie « Yeah keep your eyes on the road, your hands upon the wheeal» sa tête apparait, les gens crient et les plus contents dansent. Je ne pense qu’au pauvre esprit du rock, quand viens Break on Through to the over side. Je suis écœuré et le fais savoir. En quoi des messages comme ça peuvent être interprétés dans une rue qui ne tient qu’au pognon et à l’avilissement ? C’est un dénaturement de ce que cette période essaie de nous apprendre encore maintenant, cette acceptation permettrait bien de la banaliser et de finalement plus y prêter attention, non ? Jim était peut-être réellement une pop star finalement, qui y a un peu plus fait croire que les autres, et camé comme un frustré. Ces chansons que j’adore me mettent la nausée. Un jeune du groupe de devant nous à une langue des Rolling Stones en diamants sur son T-shirt, et un autre à le Peace and Love. C’est pas les premiers qu’on voit, mais là je comprends. C’est peut-être tout simplement très inscrit dans la culture de masse américaine, jusqu’à la vulgarisation. Jim Morrison c’est peut-être un Alain Souchon mort prématurément. Au fond de la rue une autre scène en travers des rues perpendiculaires, y’a pleins de danseurs qui jouent à chanter, avec des musicos papy rock qui font semblant de jouer et passent des reprises de vieux tube. Plein de vieux couples dansent sur leurs jeunesses. Le spectacle est rodé et efficace et si y’avais pas autant de mauvais gout ça aurait pu être marrant. On rachète de la Bud.

La rue est maintenant pleine, les mêmes mecs déguisés qu’il y a deux jours, les roublards mexicains qui lâchent de grands discours, les artistes à deux balles la toile sous jugée, des grapheurs qui font des tableaux de tunning, Spider Man, Elvis et les adultes en vacances. Y’a une demoiselle charmante et peu habillée qui danse sans personne autour sur le comptoir pour vendre de la boisson alcoolisée. La foule de braves gens passe et la prend en photo en souriant, sans rien lui laisser. Y’a même un fils de chien qui monte sur le bar et la touche et se met à danser salement avec elle qui recule en râlant mais ne fait rien, et personne de gicle ce connard. On se casse avant le dénouement, ça m’énerve et j’ose espérer qu’il lui filera un tips et je me rends compte que ça me choque beaucoup plus qu’au club de striptease. On rentre dans un magasin qui donne sur la rue et qui contient les pires objets kitch et inutile et bon marché. Même si j’étais blindé rien ne m’intéresserait là-dedans, peut-être l’énorme peluche d’ours à l’arrivée de l’escalator. Un vide de consommation abruti. Dehors il est dix heures mais y’a déjà presque plus personne. Fatigué et toujours l’impression de pas marcher sur le même plancher, on rentre à l’auberge. À la sortie de l’ «experience » y’a un bar avec pleins de hipsters et de la musique forte y sors, on s’y attendait pas ici. On veut rentrer mais sans lâcher 10$ chacun. On s’assoit autour d’une poubelle salle devant le bar et attend. Peut-être qu’un groupe de gens sympa vienne nous parler ? On se fout de la gueule de la ville sans que personne ne vienne. On croise Cheval et sa pote qui reviennent du Strip avec des sacs Cartier et Longchamp à la main. Je remarque que j’ai jamais vu Cheval avec le même maillot de bain et me dis que si elles voyagent comme ça pendant sept mois, il va y avoir de gros bagages à rentrer dans la caisse. Un pied différent. On dit bonjour sans se parler. Au bout de quatre clopes chacun on rentre. Y’a que des zombies qui nous demandent des sous sur la route et on se demande s’ils sont tous défoncés au crack ou c’est l’état dans lequel la ville met ses pauvres. On rit sur en pensant aux deux bourges qui sont passées ici il y a vingt minutes. Pour prévenir des flash floods du désert qui pourrait faire partir la ville en une anarchie violente, un énorme réseau d’évacuation des eaux est construit sous la ville, ou c’est développé une microsociété de clochards et perdants qui n’ont plu que là où habiter. Comme la ville caniveau dans Canardo. On aurait pu y aller au lieu d’une journée inutile comme celle-là. Devant le motel sale juste avant le nôtre, y’a trois voitures de flics et une quinzaine de personnes accrochées aux barrières des coursives et tout le monde à l’air très préoccupé. On se couche sans histoires.

jour 14