Arrivé à San Francisco
Découverte d'un nouveau lieu

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Jour 0


San Francisco SFO, 11 Juillet 2011.

Premier contact avec les ricains, déjà prise de tête. J’attends Paul à la sortie du control d’immigration, qui pourtant me précédait dans le compte de cette gouttière de fascistes. Pour moi ça c’est pourtant passé comme dans du beurre. Plein de jaune. Plusieurs groupes d’entre eux, de l’homme d’affaires à la limite du mafieux au restaurateur cheap (d’après ce que j’en ai compris) attendent leurs potes, emmerdés eux aussi. Je demande aux flics, miliciens, ou même bagagiste, personne ne daigne me parler. Le seul renseignement que je glane est que la salle fumeurs est à l’extérieure, et que je ne pourrais plus rentrer ici. Je préfère attendre mon Edg. Une apparition de sa part, il veut me dire quelque chose, mais il se fait réprimander direct par un lourdaud de flicard. Une heure plus tard, je l’aperçois derrière une vitre, me fait des signes, et le flic se fâche. Il disparait et je continue d’attendre.

Deux heures plus tard. J’ai eu le temps de jouer avec tous les caddies, connaitre par cœur le clip de propagande dégueu qui tourne en boucle pour glorifier la grandeur des USA, terre des libertés et des braves, et feuilleter brièvement le routard pour, au moins, entendre un minimum parler de San Francisco et de savoir où aller. Edg arrive avec un grand sourire mitigé, il a pas tout compris ce qui lui arrivait. L’ambassade à Paris lui aurait donné le mauvais Visa, il a une lettre qui représente un laissez-passer de transition, et y voulaient pas le laisser passer avec un statut pas en règle. Il a dû faire les yeux doux au cadre haut placé de l’administration, qui en passant des coups de fil a bien vérifié que Paul n’était pas un clochard mexicain ayant abandonné sa famille et son Saint-Chamond natal pour vivre son rêve américain. Parlons-en, du rêve américain ! Soulagé, on sort le plus vite possible de l’aéroport pour se retrouver sous le ciel blanc de San Francisco. Il est 4 :30 pm, nous avons pris l’avion ce matin il y a 18 heures, et sommes semi-réveillé depuis 22. Lyon-Amsterdam-San Francisco, 9h de décalage horaire, et cette adrénaline post-stress de Edg qui a failli être renvoyé illico à Saint-Chamond, me laissant seul comme une chaussette. État étrange. Absolument rien n’a été préparé pour ce voyage. Il nous faut trouver un endroit où dormir. CouchSurfing n’a rien donné de très concluant, pourtant on a lancé les annonces y’a bien deux jours. J’ai absolument rien retenu du routard, et on n’a aucune idée de quoi cette ville est faite, d’où et de pourquoi on y est. Niet. Mais une chose, marre des flics, des jaunes pommés, des hommes d’affaires qui regardent de haut les touristes crétins en chemise soi-disant relax et marre des cons de tous leurs putains de genres, on veut voir du OG hipster, du hippie babos et plané, et le quartier pour ça c’est annberry, ou un truc du style. Le routard ne me revient pas plus à propos du système de transport en commun et on découvre le terminus du BART, un métro aérien, après avoir bien regaléré dans l’aéroport. Il dessert toute la Bay, parait-il. La quoi ? Il y a une baie ici qui semble célèbre, putain, on sait vraiment rien du tout sur la ville. On n’a pas vu l’atterrissage, planant dans les nuages. Edg sait qu’on appelle SF la ville aux sept collines, comme Saint-Étienne. Bonne base ! On paye notre ticket et le BART démarre dans un bruit de cuisine Viet.



San Francisco



La partie à l’air libre nous dévoile tous les charmes de la ville : des ponts de partout en béton gros, du trafic, une mer au loin, un ciel blanc, des taudis ressemblants à Mill City où réside encore Sal Paradise. J’ai lu On the Road il y a quelques années, trop loin pour me rappeler des lieux de Frisco, mais Jacky Bretagne semblait trouver l’endroit cool, même si à chaque fois il semblait bien y galérer. Et ce périurbain bicolore refroidi le cœur, la température est pas élevée, aucun soleil. On rentre dans le sous-sol de la ville, et on a besoin de questionner la populace. Edg va parler gentiment à un vieux, et j’entame une hasardeuse conversation avec une jeune femme. Elle ressemble grave à Carla de Scrubs, elle a le visage bien plus marqué par je ne sais quoi. Brésilienne d’origine, elle revient vivre à SF après deux ans de Canada. Elle s’étonne que l’on n’ait pas réservé d’hôtels, on n’ose pas lui demander l’hospitalité, de toute façon elle va dans une banlieue de la Bay et nous on veut voir San Francisco la grande, celle qu’on chante. Puis même si Edg parle bien avec elle, moi je passe inaperçue et n’arrive pas à m’exprimer en anglais. Ça viendra. On prend son email, on sait jamais, puis on descend à Powell Street, là où, selon un vieux, on pourra aller à Haight Ashburry (right prononciation !) en bus. Il nous fait un coucou, on éjecte péniblement nos sacs, remonte l’escalator, tamponne nos tickets de sortie, et débarquons sur une petite place toujours grise.

Les trams tirés par des câbles partent de là, on les connait ceux-là, c’est donc ici qu’il y a les routes grave en pente des courses poursuites hollywoodiennes. Sur la place, des saltimbanques jouent devant une foule en admiration, ils jonglent et interagissent avec la musique, rien de fou. Les bâtiments sont toujours en béton, mais ont un peu plus de cachet. Les rues sont quadrillées en blocs ! Edg est allé à NY l’année dernière, mais c’est la première fois que je quitte l’Europe, premier pas dans une ville américaine, aucune émotion. Juste deux gros sacs à dos et les yeux fatigués. Avant toutes choses, on est d’accord pour aller grailler un p'tit truc dans les environs. Puis on va peut-être s’arrêter dormir dans les environs, aussi. On atterrit dans une cantina mexicaine, prend un hamburger. On est au pays des Fast Foods, mais le hamburger vient d’Allemagne, merci le routard pour ce genre d’infos inutiles mais qu’on retient. Sur internet on découvre une piste probable de CouchSurfing, un marin qui habite ici et est en permission, mais pas la force de devoir faire des efforts sociaux, parler anglais et se coucher tard. On décide aussi de trouver une auberge de jeunesse. La blonde qu’on prend pour accompagner le sandwich nous savate les jambes. Le contact avec le videur est bizarre, il semble s’intéresser à ma vie, au voyage, et fait vraiment sympa. Il me fait même déguster des échantillons de ses trois bières blondes, et me fait choisir. Les gens de ce salon assez lugubre ont l’air cool. On demande une auberge, il nous en indique une, pas loin. On s’y pointe, et l’hôte nous annonce qu’elle est complète. Il nous prend pour des barges, on a tous nos sacs, il est 6:00 pm et on a rien prévu. Bullshit, on a fait pire l’année dernière en débarquant tous les deux à Vienna avec le train de 11h du soir, sans rien non plus. Une fille nous a aidés à trouver une auberge et devant les nombreux refus nous a finalement accueillis chez elle. On sait qu’on est bien née et on se fait aucun souci. Le standardiste appelle plusieurs collègues qui sont tous complets, puis une répond. Pacific Railway, pourquoi pas.. Il nous file une carte de touriste et nous indique où c’est. On passe par le Civic Center ou un spectacle insolite se tient. Au milieu des buildings, un truc de jésuite fanatique, une chorale qui vient de l’Indiana ; ils chantent des prières, mais ce ne sont que des jeunes de notre âge, la musique est clairement pompée d’High School Musical, et des jeunes font du break dance devant. C’est sûr que si le pape était plus comme ça.. Les gens sont en effervescence, les jeunes sont fous de joie et grimace presque, c’est vraiment.. Bizarre. Puis toutes ces petites têtes blondes aux sourires Frident, jamais vraiment vus en version originale. On continue, et parmi le quadrillage imparfait de la ville et sous les bases de grattes ciels qui apparaissent de plus en plus pour aller mourir dans la brume, on trouve notre auberge.

Une grille et un interphone, on se fait connaitre, et on monte à l’étage dans un escalier étroit en moquette beige. L’accueil est un salon ou jonche deux ordis, des tables fixes, une kitchenette cachée, des chambres ouvertes. Le tout est très avare d’espace, on ne se sent serré. Un surfeur sponso Volcom nous enregistre pour une nuit. 30$/personne en dortoir, bam. Il y a un parisien chevelu qui lit un bouquin seul, a une table. Il s’obstine à nous parler anglais avec un accent français dégueu. On lui répond toujours en français, comme de vrais français, pourquoi se prendre la tête ? Pour que les gens autour comprennent, dit-il. Ben si on veut épier notre conversation, on épie pas c’est tout. Sous ses grands airs d’érudits je pensais qu’il lisait un classique ricain, Kerouac, John Muir, Capote, mais non, il lit Harry Potter en anglais. Sacrée Quentin Yuste ! James l’hôtelier arrive pour nous présenter la ville a l’aide d’une carte, et ça a l’air plutôt pas mal : Haight Ashbury le quartier Hippie, Castro le quartier Gay, Mission le quartier Hispano, North Beach le quartier beatnik, Chinatown, Fisherman’s Warf le port à l’ancienne, Financial District les affaires, Teleghaphe Hill et Nob Hill les quartiers victoriens et huppés, Lower Haight avec des punks.. De quoi faire quand on fait une visite de contre culture. Et tout est à une distance envisageable à pied, même selon un ricain. La plus européenne des villes étatsuniennes renchérit-il fièrement. Quentin Yuste nous tape la causette, il a compris qu’on ne parlerait qu’en français c’est déjà ça. Il nous assure qu’il n’y a pas de logements moins chers dans la ville. Il est chiant, nous raconte mollement son voyage. Il est parti tout seul et veut se faire le grand ouest, en auberge, en deux semaines. Notre voyage est tout autre. On va rejoindre Lafayette, Louisiana, où Paul-Edgar, mon copain de toujours, va passer sa 4e année d’architecture. Un couple, Carly et Kelly, qu’on a vaguement rencontrés au gala de l’école d’architecture de Saint-Étienne, nous attendrons là-bas. Pour s’y rendre, on va acheter une voiture, que Paul gardera pendant l’année et partagera avec Manon, compatriote de son école et elle aussi future étudiante à l’University of Louisiana at Lafayette. On n’aura pas assez de sous pour les auberges, on va essayer de faire au max de CouchSurfing. Puis sa sera beaucoup plus notre type de trip, rencontrer des gens, découvrir les trucs d’ici, les vrais, pas la merde touristique dont les ricains sont friand. Mais quand Paul prend le Facebook de Quentin Yuste et qu’il nous propose de partir dans les rocheuses avec lui, faut pas s’enflammer, faudrait pas non plus trainer avec n’importe qui.

On prend possession de notre dortoir, commun, mais sans personne. On descend au chinois du pied du bâtiment, acheter des clopes et des cadenas. On a oublié ceux qui ne nous avaient pas servi l’année dernière, lors de notre interrail européen. Là, l’échelle est autre : On va traverser un continent, passer du pacifique aux caraïbes. On n’a aucun plan, on doit juste être arrivé pour accueillir Manon à l’aéroport de Lafayette le 11 aout, dans pile un mois. Et dans cet intervalle de temps, on est libre de bouger, de pas bouger, on est deux super potes et presque amoureux, on va fumer, boire, rencontrer des gens et des filles, découvrir des lieux et une culture qu’on connait déjà, mais en beaucoup plus profond et grandiose. On a prévu de rester une semaine à SF, paraît-il que cette ville est magique. Edg est claqué, c’est plus dur pur lui que pour moi. Il a quitté toute sa famille, ses amis, son petit royaume stéphanois. Moi, je rentre le 23 aout pour passer un rattrapage de béton armé une semaine plus tard, surement la matière la plus intéressante de ma formation d’ingénieur que je déteste passivement. Je dois profiter de chacun de mes 42 jours aux États-Unis d’Amérique. Edg va se coucher sur le coup des 7pm. Moi je peux pas rester comme ça, il faut que je voie. J’vais faire un tour dans la ville.

L’auberge se situe entre Chinatown et le Financial District, il est à deux pas du Transamerica Building, celui en pointe qu’il y a dans plein de films et de séries. Quand j’arrive au pied, j’ai des frissons. L’image de cette flèche massive qui pénètre et se perd dans la brume, c’est majestueux ! Des poteaux lourds reprennent sur toute la périphérie les charges sismiques horizontales de ce gratte-ciel pyramidal, inédit et caractéristique de la ville. Si mon connard de prof de béton armé le voyait, il aurait une érection. Je me contente bien des frissons et continus. Une colline, j’adore monter comme un crétin des Alpes et me retrouver en haut, voire ce qu’on y trouve. SF est la ville au 13 collines et ça monte comme au Crêt de Roch. Je passe par une route goudronnée, mais je me demande comment un engin motorisé autre qu’un tracteur ou un motocross peuvent passer par là. Les maisons individuelles sont mignonnes, des petites bâtisses en bois de couleur pale, toutes collées. Une montagne métissée et sa petite copine blanche rentrent la main dans leur maison la main après le sport et me saluent. Je continue le mien et monte. L’ambiance me force à mettre After the Gold Rush, l’album de Neil Young, le plus pop de mon Folk Rockeur préféré. De petits jardins commencent à apparaitre autour de maisons de plus en plus bourgeoise, de plus en plus haute. Je passe par une petite passerelle et arrive en vue du sommet. Deux routes à sens unique se croisent pour atteindre la Coït Tower, on top. J’me retrouve sur l’esplanade trônant devant et me hisse sur un poteau électrique pour voir au-delà des sapins. La brume est jaune orangé et disperse son filtre sur l’eau de la bay, l’eau du pacifique, et au loin Oakland, Berkeley et les collines en fond de vue, stupéfiante, envoutante. Je pense distinguer dans la brume le Golden Gate rouge au loin et j’ai une vue claire sur l’ensemble d’un autre grand pont pas beau qui s’appuie sur des petits ilots. Les lucioles des voitures glissent et les bateaux de la baie n’ont pas l’air d’avancer. La vue sur la ville est étouffée, mais une autre colline suivant la ligne de cote se dégage et me laisse à penser que c’est, malgré la crasseur, une petite merveille de mégalopole. Don’t let it bring you down, it’s only castle burning, just find someone who’s turning, and you will come around. Plus de frissons que devant cette teub de béton. Je ne peux malheureusement pas monter dans la tour, trop tard ou pas possible. Au 1er étage, une grande fresque sur les métiers antiques californiens. Antique veut dire d’il y a moins de 100 ans bien sûr. Des messages publicitaires proclament que les meilleurs fruits et légumes du monde sont californiens. Le soleil commence à se coucher et mes yeux aussi. Je redescends de la colline en courant. Sur un flanc de la rue, un club Larry Flint’s Hustler, je l’ai vu dans le film du même nom juste avant de partir. On y est, les US, là où le monde a les yeux fixés, la Californie sauvage et folle, le bout de sur la route, San Francisco. On va vraiment s’amuser, ça pue l’explosion sensorielle ici. Je retrouve facilement l’auberge, tape un mail à ma Moman pour ne pas qu’elle s’inquiète, le copie à mes potes pour leur foutre les boules et plonge dans le lit du dortoir, quelques étoiles dans les yeux.

Real début