Précédent -- Suivant





Licence Creative Commons
Jour 21


Réveil doux dans la véranda teinté de soleil. Edgard est levé avant moi, apparemment il a passé une sale nuit. Il se lève et prépare le café sur une ancêtre du Nespresso. John est parti bosser et devrait revenir pas trop longtemps. Edg va se doucher et j’observe toutes les photos qui sont accrochées dans son salon. Il est beaucoup avec des gosses qui ont l’air différents, je me demande toujours s’il est divorcés ou gay. Le québécois se réveille la tête bien enfoncée dans son cul. Je lui sers du café et essaye de lui tirer au moins un mot, mais rien, impassible et ahuri devant la présente journée. Dès qu’Edg sort, il se jette dans la douche et part à un événement de yoga. On réfléchit pour savoir si on attend que l’informaticien rentre du boulot, on aurait bien aimé voir des petits requins, essayer le surf… Mais ça voudrait dire une autre soirée un peu gênante et pas très funky comme hier, on a envie de voir la ville et San Diego est loin. On a reçu une réponse positive de La Jolla, à côté de SD. On laisse un petit mot sur la table et on dit au revoir à Charly en fumant une clope sur le perron ensoleillé, comme de vrais petits propriétaires capitalistes. On aurait pu dire au revoir à John directement puisqu’il devait rentrer dans un quart d’heure mais plus facile de larguer quelqu’un avec une lettre. J’ai l’impression d’être plus porche du chien que de son maitre, annonce Paul.

Je suis toujours content de retrouver la voiture garée comme chez elle dans des petits quartiers tranquilles, elle doit raconter des trucs marrants aux autres caisses qui font les aller-retour au boulot toutes leurs tristes journées de soleil. On passe devant la petite plage on se demande s’il y a du sang dû aux policiers énervés d’hier. Il fait un fort vent frais et la plage est blindée, ce qui ne nous fait pas descendre. La fausse herbe qui orne l’esplanade est vraiment horrible bien que l’endroit soit globalement agréable. Deuxième stop au Wallgreen. J’ai jamais compris ce magasin, une pharmacie qui ne vend des cosmétiques, des tupperwares, des médocs, des bières, des sodas, des chips et des clopes. Au fond, bien caché, le comptoir à médicaments. Et y’a cinq ou six enseignes qui se partagent marché. On peut même pas acheter de quoi faire un picnic décent. A la place, les bonbons les plus horribles de leur histoire, de moitié au smecta et à la framboise écœurante. Je me demande qui mange ça. On se donne pour mission d’en faire bouffer un à Manon.

La frontière Mexique/États Unis est surement une preuve de géographie urbaine des plus risibles. Du côté mexicain, Tijuana s’écrase complètement contre cet axe matériel incarné par un mur. De l’autre côté, des parcs naturels et golfs, pour mieux pouvoir surveiller si des clandestinos essaieraient de s’immiscer dans le pays de la liberté. En tout cas San Diego est décrit comme une ville tranquille où y fait bon vivre. En entrant dans le Downtown on met Welcome to Tijuana en live à Bayonne, juste pour se faire bien voir, on n’a pas la pèche suffisante pour sauter de partout dans la voiture. Le quartier est super calme, le peu de gens qui gravitent est silencieux. Le lieu n’a pas grand-chose de fou. On tourne deux heures dans ses rues, le moment le plus intense étant la visite d’un grand média store ou j’achète Duke Nukem 3D pour mon frère, et où Edg s’achète les deux premiers CD de sa vie : Tea for the Tillerman et un best of Simon & Garfunkel. C’est pas des trucs dont je suis fou, trop léger, pas assez torturé. On bouffe nos chips sur les escaliers d’une grande banque qui affiche fièrement la progression de la dette américaine en temps réel, comme si c’était une gloire du libéralisme. Les dollars tombent très vite, c’est eux qui les prêtent et qui y gagnent. J’ai de plus en plus envie de cocktail Molotov en voyant ça, le problème c’est que je connais peut-être les filles des grands boss. On choppe un hot dog a 7/11, ou le moyen le plus efficace de rappeler au client ses horaires d’ouvertures et je me rends compte que je vomis la coriandre. Plus de temps au parcmètre, on décide d’aller à la plage de la Jolla.

On repère à peu près où les gus habitent, pas très loin de la sortie d’autoroute, puis on prend une, plus une quinzaine d’intersections qui me paument complètement. Enfin on arrive sur la route côtière. On roule le deuxième blunt au champagne dans la caisse et décidons de le cramer sur la plage par souci de discrétion et d’agréable. C’est plus SF, et c’est pas non plus Venice. Ça fait vraiment plus ambiance rangée, cote d’azur. Les gens sont propres et bronzés. Le cigare qu’on fume fait immédiatement réagir une famille qui passe derrière nous et sa plus grande gueule s’écrie ”what are you cookin down there ?” On tourne la tête en rigolant jaune. Petit signe de la main. On a pas le droit de fumer sur la plage et pas du tout habité à ce que la marijuana choque dans cet état. On camoufle un peu plus et on discute comme des pachas sur le sable en dorant. La vie. J’ai envie de me baigner et fait remarqué à Edg qu’il a pas encore trempé son orteil dans le great pacific ocean. Il me suit donc et trempe ses mollets. Je sors un tas de sable de l’eau avec mon pied. « T’as pas intérêt à faire ça – oui mais si je t’étale cette trace de merde sur le torse tu seras obligé de t’immerger en entier » il s’arme alors d’une grosse boule de sable. « Moi je t’envoie ça dans la gueule – m’en fous je suis déjà mouillé – avec les embrouilles qu’on vient d’avoir et qui sont pas encore résolue je te conseille pas ». Une chica passe à côté de nous et me fait détourner le regard. Je me prends sa boule dans la gueule. L’enflure se barre en courant. Dans ces occasions je fais toujours bien gentil, là pareil, je l’ai à moitié laissé faire, mais j’ai une excuse pour lui foutre la gueule dans l’eau. Il court vite, même s’il fait plus de sport depuis longtemps et qu’il fume beaucoup. C’est un putain de poids léger enfaite, il fonce comme une gazelle. On a vraiment l’air d’un coucouple de folasses et quand on commence à être vraiment loin des sacs Edg fait un prudent demi-tour en arc dans l’eau. Je lui lance de la terre et farcie ces deux grosses pizzas de tétons, il est à moitié deg et plonge dans l’eau. Elle est pourrie cette plage, y faut trop marcher pour avoir du fond et c’est de plus en plus froid. On rentre sur les serviettes. Ce qui a avec Edg, c’est que c’est mon meilleur pote mais il a un côté qui est saoulant, tatillon, son égo se ramène souvent et sans qu’il en soit vraiment conscient, bien que ça ne soit pas en mal car il reste profondément bienveillant. Il réfléchit vraiment bien, ses discussions me passionnent quand elles sont pas trop répétées, même si généralement au bout d’un moment je me demande vraiment ce qu’il lui importe et quand il en vient à ce que je pense vraiment, il me demande d’intervenir et reprend la parole de suite. Moi j’aurai besoin de parler. Bien sur tout ce que je dis là je le pense seulement après, alors qu’il a commencé sa sieste et que je suis encore trop explosé pour me poser tranquillement. Mais là, on a passé un bon moment de discussions simple, allongé sur nos serviettes, commentant notre environnement. Ça fait du bien, pas de dissection d’intellect qui gratte la tête et pas de tensions sourdes. Un peu de légèreté.

Un charclo se prend la tête dans ses mains, assis sur le rebord en béton. Il ne sait plus où il est, se tiens les bras en sanglotant in slow motion. Il fait plus fou que triste, et cette image de lâcher-prise et de misère dans cette indifférence générale, de lui-même y compris, me laisse con. Moi je suis dégouté parce que je me suis fait avoir sur la Roots Beer, c’est pas de la vraie bière et c’est encore plus chimique que le coca. C’est comme ça, je me dis. Ma vie est peut-être cent fois plus agréable que celle de ce pauvre homme et on peut pas y faire grand-chose tant qu’on continue à manger gentiment dans la gamelle. Je me dis que si eux étaient à ma place, ils feraient pareil, et que j’aurai tort de pas en profiter, mais je donnerai beaucoup pour que ça change. Sur le Routard ils disent que des cars partaient de New York l’hiver pour emmener des SDF en Californie, là où il fait encore chaud. Ils sont le décor, tristement présent et habituel. Après avoir ingurgité nos petits hotdogs, on repart à la voiture. Le ciel est enflammé. Les gens on pas l’air ouf ici, les touristes ressemblent à des bidochons et les locaux à des bourges coinsos, mais c’est paisible et le calme y est agréable. On doit passer devant pas mal de Catherine Zeta-Jones qui font passer de la coke en poupée de porcelaine de ce côté de la frontière. Toutes ces maisons sont le paroxysme du bourge tranquille d’apparence et de haut niveau. Ils gardent pour eux la vue sur leurs mers. On s’en fout. Asking only workmen's wages, I come looking for a job But I get no offers, just a come-on from the whores on Seventh Avenue. I do declare, there were times when I was so lonesome I took some comfort there. Lie la lie, lie la lai lalalala. Je me sens culcul mais j’adore vraiment ces couchers de soleil, c’est des moments de grâce. Au final de notre errement dans les rues résidentielles et pas droites du tout, on arrive au sommet d’une colline avec une immense croix à son sommet, entouré d’un petit parc de vue sur toute la cote lointaine, les tapis d’habitations s’étendant inégalement contre l’eau et remontant tous sur cette colline allumée par toutes les flammes du soleil. Ouai je deviens cucu mais c’est beau de se perdre pour voir ça.

On est complètement pommé et on aura bien deux heures de retard sur l’heure qu’on avait annoncé aux couchsurfeurs. Pinaille pour retrouver l’autoroute, trouver la bonne direction, la bonne sortie, pas de noms de rue, la carte prise en photo est au niveau du pixel, personne à la station-service. Finalement on trouve la maison, on va récupérer la caisse et se garer à côté. Grande bâtisse à côté de la route, on se fait accueillir par Mathiew, un grand blond qui devient rouge et qu’a l’air très sympa. La maison est immense, on entre par le salon ou sont disposé trois grands canaps en ¾ de rectangle, comme à l’appart, mais là ils font face à une fenêtre mur d’où on peut voir la mer. On se cale à la table de la cuisine, la bouffe nous attend et sont assis deux autres colocs. L’un célèbre presque plus l’arrivée de JD que de nous, il vient du midwest et aime bien le bourbon. Ils sont tous à l’UCSD, six en comptant ceux qui ont pris des vacances cet été et qui sont encore chez leurs parents. Se priver de vacances pour prendre un semestre de plus et finir plus vite, je rêverai de faire l’inverse. L’University of California : San Diego est apparemment la moins fun des UC, ils en sont bien déçus. En tout cas les shrimps à la crème sont très bonnes. Aucun ne fume, et on dira ce qu’on veut c’est quand même un bon élément rassemblant, leur balcon est un endroit très agréable pour fumer. Dans la contre cours y’a un puits et personne ne sais ce qu’il fait là. Mathiew est en génie électrique, ça lui va plutôt bien, un type discret et assez passionné pour faire de l’électronique. Paul : « moi j’aime pas le Jack Daniels et j’aimerai bien me défoncer aussi, je roulerai pas un joint ? » gros bide et personne ne rebondis. J’avais déjà demandé à Mathiew si ça fumait beaucoup par ici, il m’avait répondu ”yeah, some are doing around here, but we’re not. I don’t really like it.” Le midwestien boit son whisky chaud et nous comprend pas qu’on fasse pas pareil. Il est en école de commerce et ça lui va bien. Midnight, on va se coucher parce y’en a qui se lèvent demain. Mathiew nous emmène dans une petite chambre en contrebas qui donne sur le jardin et n’a pas d’accès à la maison. J’avais fait une blague a Mathiew comme quoi ça devait être une super chambre pour y amener des copines et ça l’avais pas déridé. Mais c’est vrai, un canap avec une petite table basse qui n’est même pas besoin de déplacer pour pouvoir déplier le lit, et tranquillité garantie. On se fume ptit der en regardant les étoiles et en parlant des potes de Saint-Chamond, notre hameau, qu’Edg ne va pas revoir de longtemps. Ça lui manquera. Il refuse une fois de plus un câlin avant d’aller se coucher. Il doit vraiment avoir un truc à refouler. C’est quand même chaud à placer le gros câlin pote, faut le vouloir exactement au même temps, sinon l’un trouve ça vraiment relou, ou ambigüe. On serait quand même bien ici avec une ptite meuf. Je me fais ma nuit d’amour dans ma tête, regardant le soleil se lever assis sur le puits avec elle.

jour22