Les yeux s’ouvrent comme sur une nouvelle vision. Le salon de l’appart du campus de l’université de Santa Barbara, Californie, toujours. Je dors par terre, Edgard sur le canap. J’entends que le geek du sommeil est réveillé, ça me fait plaisir. Il écoute de l’electro dubstep dans un logiciel de mix qu’a pas l’air top, vois que je suis là. Je retourne m’assoir sur le canap et lis un classement des top songs fait par Pitchfork. Un peu sensationniste. Y’a Rock 01 de Vitalic, bizarre, elle a rien cette chanson ?! Pas bien concentré sur l’anglais, j’entends que Georgéu regarde O’brothers dans sa chambre. Je vais le voir pour regarder un bout. J’ai vu plein de fois ce film, je l’ai même montré à des personnes qui y étaient pas encore aptes à l’apprécier, mais jamais en anglais. Je me pose debout devant, assez mal calé mais je ne pense pas rester. C’est fou que ce soit dans le même pays que dans cet état déglingué où on est. Je vois mal la réunion du KKK entre les collines et les beach houses de l’océan pacifique. Remarque, ils ont bien élu terminator Schwarzenneger comme gouverneur. Trop de bizarres. Je regarde le film jusqu’à la fin. Georgéu conclut et certifie que c’est un bon. Edgard se lève. On discute de ce qu’on veut faire aujourd’hui, et une rando serait bien appropriée. Il fait un soleil parfait dehors. On demande un itinéraire à Georgéu, qui semble presque plus enthousiaste que nous d’aller marcher. Il hésite. Il n’est toujours pas allé au labo, il a le temps nous dit-il, et de se prendre deux petits jours comme ça, c’est pas bien grave. C’était une expérience marrante pour lui, on le sent, et même s’il ne propose pas vraiment de nous héberger ce soir ça le dérangerait pas, mais on a envie de bouger. Edg photographie son guide de rando avec notre outil multimédia. Suivie d’un petit café, on va fumer dehors, éblouie par la lumineuse lumière estivale. On paye une clope à Georgéu, même s’il a arrêté y’a longtemps, il faut bien fêter la fainéantise. Il nous fait payer et on récupère le sachet plein de weed, cette magie qui m’a fait complètement débloquer hier soir et qui est tellement agréable à lutter contre en cette magnifique matinée. On croise des gens qui sont passés devant notre porte la veille. On a le numéro du petit génie français, mais on n’ira surement pas à sa soirée, à moins qu’on reste sur SB et qu’on n’ait rien à faire. On va profiter de l’air chaud pour réfléchir à tout ça. Georgéu nous fait un au revoir chaleureux, j’ai vu qu’il nous avait ajoutés sur Facebook. Finalement Edg en convient, ce mec là est génial, malade mais humain après tout, un paysage de la Californie et un vestige de l’Europe lointaine. Cette halte de deux jours a été la meilleure des rentrées dans la république. On retourne faire des provisions de petite bouffe dans l’épicerie du premier soir, vendeuses toujours aussi chaleureuses. Elles ont pas envie de bosser et ça se comprend. On sort du campus, en écoutant le cd de O’brothers sous un soleil fort et léger à la fois, absent et présent, qui pose la plage de surfeur pile en face de l’entrée parfaitement dans l’imaginaire beau et cool et élitiste de ce campus. Et l’autoroute 101 au milieu des palmiers.
Les hauteurs de la ville sont assez vastes. La route remonte les flancs de la colline, plus on monte, plus c’est pentu, et plus les propriétés sont camouflées derrière des barrières et des arbres et des parcs immenses. La dernière impasse est vraiment hyper inclinée, on trouve par chance une place contre la route à la toute fin. On met les roues de la cavaliers de travers comme on a appris à San Francisco et sortons les ripailles de dindes et piqueniquons dans la voiture. Keep on the sunny side, always on the sunny side of life. On mange un gros pot de yaourt quand un groupe de travailleurs mexicains encore en habits de chantier nous souhaite un bueno appetito. Je mets mes grosses chaussures de marche, qui ne servent pas trop, mais elles auront vu du pays. Sur l’ancien chemin goudronné serpentant à flanc on rattrape vite les sud-américains surement là pour une petite ballade post boulot. Ils sont tellement mieux ici qu’à jouer au babyfoot en buvant des bières dans un bar, sordide ou non. La marche, je ne la définirais pas vraiment comme un sport. Y’a pas vraiment d’effort dans le sens de violence, pas de victoire, ni de but réel, ça peut durer assez longtemps et l’esprit n’est pas souvent là. Ça permet de réfléchir à tout, parler de tout et introduire calmement toutes sortes de conversations. Les gens intelligents aiment marcher, et je les comprends. Ça m’a manqué, beaucoup plus que je l’admets. Je ressemble à mon père. On quitte le gros chemin pour s’enfoncer dans la végétation assez méditerranéenne. Les petits lits vallonnés de ruisseau asséché me font penser à la corse, et le petit chemin dont on n’est pas sûr du tout. Pas très fréquenté. On arrive à un vrai arroyo où y’a une famille qui râle. On les laisse rebrousser chemin et Edg m’apprend la différence entre le beau et le sublime. L’illustration est que les alpes sont belles, et que les rocheuses sont sublimes. Pause, Edgard fume. Le chemin serpente dans les fourrées, le rattle snake cayon, a priori il n’y aurait pas de serpents.
Arrivé en haut du contre flanc. Il y a encore des hautes collines derrière mais on va s’arrêter. Je sais pas si c’était le but de notre course, mais on y est bien. Le pacifique en vue à l’infini qui ne donne aucun contraste avec la ligne d’horizon, la ville tapie jusqu'à lui qui brille sous les bleus, les rapaces qui volent majestueusement dans les airs. On peut presque sentir le nuage radioactif de Fukushima. La ligne de côte est garnit de montage des deux cotées, jusqu'à perte de vue. Déçu de ne pas pouvoir remonter Big Sur, une prochaine fois. Je pars en courant sur une avancé rocheuse et monte sur un petit piédestal, plus prêt de la mer et du vide mais ça ne change pas grand-chose sur la vue. J’écoute le silence du vent léger. Je remonte vers Edgard qui prend des photos. Bon, il est 4 :pm, ou dort-on ce soir ? À décider, au pire on peut se ramener chez le Français qui fait sa bringue et négocier un canapé. Faudra pas tarder à redescendre, histoire d’avoir une petite marge de manœuvre. On ne parle pas trop, pas vraiment besoin, posé par le calme et la marche, en courant dans les serpentements du sentier.
J’explique les bases de la physique quantique sur laquelle travaille Georgéu, vraiment les bases qui peuvent arriver à ma portée. Ça intéresse grave Edgard, le chat le plus célèbre de Schrödinger ça sonne bien comme l’histoire de la vie. Puis l’esprit toujours en éveil d’Edg aime bien les nouvelles informations un peu farfelues qui pourraient changer complètement la vision du monde, même si c’est vu par l’angle de la physique. Le soleil décline et berce les flancs d’une lumière orangée très calme, il fait moins chaud, l’air est doux. Arrivé à Santa Barbara, on retourne au même Starbucks que la veille, sans lâcher de ronds cette fois. Je me rends compte que je peux aussi utiliser mon iTouch pour naviguer. Nouvelles de l’internet, outre les habituels refus : Un mec de 27 ans de Los Angeles nous a répondu qu’il pouvait nous héberger dans sa coloc, il bosse ce soir mais sera là tard. Une demoiselle de notre age de Santa Barbara nous a répondu un ”ooh i’m so sorry that I haven’t seen your email, I’d love to host you guys! Have a safe trip!” Une fille, qui aurait été contente de nous accueillir, ça vaut un jour de plus à SB ! Je réponds qu’on est encore là ce soir et en galère et on se donne une heure pour recevoir une réponse, sinon on descend à L.A. On descend la rue principale, commençant à connaitre les points de repère. L’indien double ses prix le soir, sur la pelouse de front de plage on fille une blonde à un jeune skateur. J’aime bien leur système. Ils proposent d’abord d’acheter la clope, la plupart du temps les mecs la donnent. S’ils ont pas envie tant mieux pour eux, ils se font rembourser leurs clopes, ou se font même une gratte, et personne n’a à se plaindre. On zone devant les vitrines des magasins. On essaye toujours de trouver des filtres mais même les tabacs sont fermés. Internet est questionné tous les quarts d’heure, mais rien n’arrive. Au bout d’une heure et demie, il est 7 :30pm, on décide de tracer à L.A. On se débrouille toujours pour arriver de nuits dans des lieux immenses qu’on ne connait pas du tout.
Il fait même complètement nuit quand on déboule sur la 101. C’est assez drôle de déambuler autour des blocks en étant un peu perdu, un peu ébahit, un peu défoncé. On a du temps, Los Angeles est pas si loin et Architecture in Helsinki est à fond, chantant sur ces airs tout guillerets, je prépare des bagels à la dinde. On s’arrête prendre du gaz dans un non-lieu de la cote sombre, je passe au volant et Edg finit de faire les bagels à la dinde. On va affronter L.A, faut que le pilote que je suis soit à son meilleur, et surtout que la tête directionnelle d’Edg soie la plus efficace. On a eu un aperçue, ça à l’air compliqué d’y conduire. Reyner Banham a bien appris à conduire pour pouvoir lire la ville, et écrire des bouquins. On a envoyé avec mon connard de portable et reçu un texto du mec, il bosse jusqu’à 11 :30pm, et on devra se ramener chez lui après cette heure. On a le temps. Assez rapidement, l’urbanité arrive. On ne la voit pas forcement mais les sorties d’autoroute sont plus nombreuses. On passe le panneau Mulholland drive, j’ai pas compris grand-chose au film mais on en discute et sa peut valoir le coup d’y jeter un œil. Trois sortie après, on fait demi-tour, on essaye de suivre les panneaux, voir ou la route monte. Un carrefour glauque. J’ai aucune idée d’où nous sommes, des directions cardinales, de la forme de la ville. Edg l’a regardé sur une carte et a pris peur. Mullholland drive, je sais pas si c’est cette route, mais ça monte et les blocks dans lesquels on a tourné disparaissent. La forêt, la colline. On tourne un peu dans une zone résidentielle, enfin les maisons doivent avoir dix fois la valeur de celles qu’on a vues jusque-là. Peut-être que y’a des stars qui y vivent.. Edg jure d’avoir déjà vu ce dernier cul-de-sac. Mais y’a aucun signe de quelconque vie nulle part. On sort pas, rien à y faire et notre présence à déjà dû être noté. On ne continue pas la route, on va encore plus se perdre, et on ne voit rien de toute façon. Un petit parking avec un gros panneau : “forbidden to stop here to watch the view at night”. On n’est pas les seuls, on s’en branle. Un groupe de mixité ethnique rigole fort à côté de nous, de belles gens, mais ils ne semblent pas du tout avoir calculé notre présence. On racle la fin du paquet de tabac puis fume une clope pour deux, assis sur un banc, devant une mer de lumière dont on devine une fin. Il y a aussi beaucoup de brume sur la ville. Je demande à Edg si c’est la mer au loin, il pense pas. Je ne sais pas du tout ou on est. Enfaite, on contemple la vallée de Ventura, qui n’est même pas dans le comté de Los Angeles. Même ça, ça nous parait infini. On part en flashant le groupe avec les feux de routes, ce qui les fait râler.
Trouvé un Starbucks fermé dans le bas des pentes. Ils n’éteignent heureusement pas leur wifi la nuit. Assis devant l’entrée, Edg check la route sur mon iPod pour se rendre chez Nathan et prend les photos de carte d’usages. Il est annoncé vingt-cinq minutes, pas pire. Même si l’endroit est vraiment désert, on se sent grave observé. Les Black Keys ne font pas de bruits comparés au vide du monde qu’on traverse. Tighten up ! On prend la Hollywood Highway qui traverse tout droit dans les Santa Monica Hill et sort de l’autoroute à Silverlake Boulevard pour arriver tranquillement au cul-de-sac en pente indiqué par l’iPod. Il est midnight, on a un peu trainé des pieds. Entre le vert assombri des arbustes et des longs palmiers bougeottant lentement, il y a toute place pour passer à On the Beach, le Neil Young le plus Blues. On commence à rouler un pétard mais y’a plus de tabac dans le paquet. Je regarde mon portable, il y a trois nouveaux messages. L’un date d’il y a trente minutes, qui nous dits de se ramener, un il y a vingt minutes avec un joli et unique ?, et un dernier il y a cinq minutes pour nous dire qu’il allait se coucher. On appelle direct pour dire qu’on est là, sortant de la voiture et descendant la pente rapidement, avec nos sacs de couchage et notre magnum de Jack Daniels.
Nathan, grand brun barbu, nous accueille devant le portillon, nous fait descendre en contrebas de la maison tranquille ou traine des jouets d’enfants. Il nous fait visiter le salon et les chiottes et part dans sa chambre avec sa copine. C’est assez sale, des culs de clopes pas brulées et des bières vides, comme notre appart. Je toque à sa chambre entre ouverte pour demander s’il veut venir fumer un joint avec nous. Il me regarde entre l’agacé et l’étonné et répond qu’on peut fumer dans son salon, mais pas de clopes. Il ferme la porte. Bon, je vais pas refrapper pour lui taxer une clope. On se débrouille avec les souris pour rouler quelque chose. Y’a un poster énorme au milieu du salon, représentant deux lesbiennes en train de faire un ciseau. Scissor sisters, fond pastel, salon sombre. Je vais jeter un coup d’œil dans la cuisine si y’a pas un truc à grailler. Elle est à l’image du salon. Y’a un livre star wars qui présente tous les bruits de la trilogie originelle, conception et interprétation. Je ne pensais pas qu’on pouvait aller jusque-là. On veut rouler la petite sœur, mais y’a plus de souris. On est obligé de prendre le tabac pas consumé des mégots du cendar, au gout horrible. Trop faim, on retourne à la voiture et finit les bagels à la dinde qu’on a achetée ce matin. On est bien, assis dans la voiture, notre vrai seul chez nous. Edg s’exlame quand passe Motion pictures, from my TV screen. A home away from home, live up in between. But I hear some people have got their dream. I got mine. I hear the mountains are doin fine. Mélancolie qui cloue au siège et fait regarder loin devant, les yeux dans la nuit calme des palmiers. La conversation s’arrête sur mes lectures. Nob ne savait pas que je lisais et pouvais parler de Céline, Thoreau, Emerson, Kerouac. Il arrive pas à avancer son Big Sur. Il m’a lu des passages qu’il l’avait touché. Jack disait que le livre avait une progression presque létale, et Edg aime pas trop lire, pour en rajouter. On en vient à Voltaire et candide, que je déteste, qu’Edg adore. Cultiver son jardin, ou se pendre. J’aimerais bien lire plus mais j’ai pas le temps. Tout ce qui serait possible avec plus de temps. Tout ce temps gâché en cours à l’ENISE. Je crois que je vais moins le prendre la tête l’année prochaine. Ambulance blues nous tue. Quand elle est finie, on rentre au sous-sol. On aurait bien écouté plus, mais on a laissé la porte ouverte et le routard nous a prévenus que Los Angeles était la seule ville de notre parcours ou il fallait mieux pas laisser les sacs dans la voiture. Je sais pas ce qui pourrait se passer dans un endroit aussi calme, mais on sait jamais. On n’est jamais trop prudent, comme dit toujours mon petit frère pour m’énerver. On se couche dans les deux canapés du salon, et faisons de beaux rêves, en sa capitale.
jour 18